A court d’idées cadeaux pour les fêtes de fin d’année ? Le Monde Afrique vous a concocté une sélection de beaux livres qui célèbrent le continent.
Dans l’œil des photographes
OMAR VICTOR DIOP/GALLERIE MAGNIN-A
Omar Victor Diop
Avec sa nouvelle série photographique « Allegoria », le jeune artiste sénégalais Omar Victor Diop débute un nouveau chapitre de son travail. Il se saisit de la question fondamentale de l’environnement et de sa portée sur le continent africain. Ses œuvres présentent l’allégorie d’une humanité soucieuse d’une nature qui pourrait n’être plus qu’un souvenir des manuels d’histoire naturelle.
L’artiste, qui se met en scène entouré de plantes, d’oiseaux, de poissons, de mammifères, crée un jardin symbolique : « Qu’éprouvez-vous en voyant une biche dans une ambiance portuaire, accompagnée de mouettes, de coraux… Le dérèglement climatique ? Un dialogue au sein de la faune ? » Cette première monographie rassemble les principales séries photographiques de l’artiste.
Omar Victor Diop, de Renée Mussai, Imani Perry et Marvin Adoul. 46 illustrations en couleur. Coédition 5 Continents et galerie Magnin-A, 96 p., 39 euros.
Africa 21e siècle
Une somme. Plus de 300 reproductions des œuvres de 51 artistes de tout le continent. Sous la direction d’Ekow Eshun, l’ouvrage réunit des clichés pris au cours des vingt dernières années.
Et le résultat est à la hauteur du projet. Un livre magnifique, qui s’articule en quatre grands chapitres : « Villes hybrides », « Zones de liberté », « Mythe et mémoire » et « Paysages intérieurs ». Sans oublier une introduction qui rend hommage aux « anciens », ceux qui ont marqué les débuts – mais pas que – de la photographie africaine.
« Africa 21e siècle tire son inspiration des travaux de l’économiste sénégalais Felwine Sarr, qui veut engager à considérer une nouvelle manière de comprendre l’Afrique (…), renouvelée, engendrée par les artistes, les penseurs et les acteurs culturels », précise Ekow Eshun dans son introduction.
Africa 21e siècle, d’Ekow Eshun, éd. Textuel. 272 pages, 55 euros.
Ode aux artistes subsahariens
L’ouvrage n’est pas un « beau livre », à ranger sagement sur une table basse. Ici pas d’images ou presque. A peine quelques vieux clichés en noir et blanc pour plus de 400 pages. Cette anthologie indispensable, coordonnée par l’anthropologue Cédric Vincent, n’épate pas les mirettes, mais titille les méninges, en questionnant une notion « élastique » : l’art contemporain africain. Comme le dit justement le chercheur en préambule, « rien dans « l’art contemporain africain » ne va de soi. Certainement pas « africain » ».
Le libellé recouvre aussi bien un artiste né à Londres et formé dans une grande école d’art tel que Yinka Shonibare, qu’un George Lilanga, héritier de la statuaire Makondé, qui n’a jamais quitté la Tanzanie. Riche d’une pluralité de points de vue, le livre est passionnant. Mais il reste toutefois dominé par les auteurs nigérians et, gros bémol, fait l’impasse sur l’Afrique du Nord.
Art contemporain africain. Histoire(s) d’une notion par celles et ceux qui l’ont faite 1920-2020, de Cédric Vincent, JRP|Editions, 416 p., 20 euros.
Aller sans retour dans la gastronomie africaine
Lassés du trio mafé-thieb-yassa ? Voici un livre qui vous fera (re) découvrir l’extraordinaire variété des cuisines d’Afrique.
Les frères Abdoulaye et Fousseyni Djikine, propriétaires des cantines BMK à Paris, proposent une cinquantaine de recettes faciles à réaliser.
Nés de parents maliens, ils ont naturellement puisé dans les plats traditionnels de leur enfance et proposent aussi des recettes moins emblématiques, glanées au gré de leurs pérégrinations sur le continent. On croise ainsi le kuku paka, un plat kényan à base de poulet, de lait de coco et d’épices, le bobotie, succulent pain de viande haché cuit au four dont raffolent les Sud-Africains, ou encore le kédjénou de poulet, consommé en Afrique de l’Ouest et particulièrement en Côte d’Ivoire.
Les pages dédiées aux desserts achèvent ce savoureux voyage culinaire magnifiquement mis en images. Mention spéciale au financier baobab moringa et aux crêpes à la farine de banane plantain.
Plus qu’une succession de recettes, ce livre offre une expérience gustative et culturelle réussie, et démonte les clichés qui collent encore à la gastronomie africaine, jugée trop grasse et peu créative.
BMK. Cuisines d’Afrique de Paris à Bamako, d’Abdoulaye Djikine, Fousseyni Djikine, Marie-Liesse Cabaret, éd. Hachette Pratique, 222 p., 29,95 euros.
(Re)découvrir les histoires du continent en famille
L’Histoire dessinée des juifs d’Algérie
Voici 138 belles pages, enluminées par le trait clair de l’illustrateur Nicolas Le Scanff, pour découvrir plus de deux mille ans d’épopée de la diaspora juive en Algérie. De l’Antiquité à l’époque moderne, le scénario imaginé par l’historien Benjamin Stora nous embarque pour retrouver les premiers juifs arrivés au Maghreb au XIe siècle avant J.-C. dans le sillage des Phéniciens fondateurs de Carthage, jusqu’au départ, en 1962, après la signature des accords d’Evian et la déchirure de l’exil.
Conquêtes, religion, intégration, culture, politique, colonisation, guerres mondiales et indépendance : les grandes personnalités juives, et quelques autres, qui ont marqué ces vingt-trois siècles défilent, faisant renaître une histoire peu traitée par le média dessiné. Une jolie réussite à parcourir en famille à partir de 12 ans.
Histoire dessinée des juifs d’Algérie. De l’Antiquité à nos jours, de Nicolas Le Scanff et Benjamin Stora, éd. La Découverte, 138 p., 22 euros.
Ndaté Yalla Mbodj, une héroïne africaine du XIXe siècle
Voilà plus de vingt ans que l’historienne Sylvia Serbin a décidé, en pionnière, de dédier ses recherches à ces grandes oubliées de l’histoire mondiale que sont les femmes du continent africain. Elle leur a consacré dès 2004 un ouvrage, réédité plusieurs fois avec succès : Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire. Cette fois, c’est au jeune public que l’écrivaine s’adresse dans un album qui met en lumière une figure politique méconnue du XIXe siècle : Ndaté Yalla Mbodj, une reine sénégalaise qui vécut au temps des conquêtes coloniales européennes.
Lorsqu’elle accède en 1846 au trône du Walo, au nord du Sénégal, Ndaté Yalla Mbodj a 36 ans. Son Etat suscite la convoitise des Maures comme des Français, à une époque où le commerce esclavagiste bat son plein. Refusant de se soumettre à l’envahisseur, Ndaté Yalla use de diplomatie avant d’être contrainte de recourir aux armes pour défendre son peuple. La résistance sera finalement anéantie par les canons du gouverneur Faidherbe.
Un album à lire et partager en famille, qui redonne vie et dignité à une héroïne d’exception. Dès 10 ans.
Ndaté Yalla Mbodj, une reine sénégalaise au temps des invasions européennes, de Sylvia Serbin, éd. Medou Neter, 10 euros.
L’art contemporain en majesté
Oh ! AfricArt
Un titre comme un cri de surprise et comme un coup au cœur ! C’est à 52 émotions artistiques que nous convie, avec ce beau livre, l’auteure et ancienne journaliste franco-camerounaise Elizabeth Tchoungui. De longues années d’expérience dans les plus importants médias télévisuels ont fait d’elle une observatrice privilégiée de la scène culturelle mondiale.
Ici, elle nous invite à se concentrer sur l’art contemporain, en particulier sur les plasticiens originaires d’Afrique. L’ouvrage offre un panorama d’œuvres fascinantes par leur originalité, leur expressivité et leur audace. Des tapisseries du Ghanéen El-Anatsui aux portraits de l’Oranaise Dalila Dalléas Bouzar, en passant par les corps tronqués de la Nigérianne Otobong Nkanga, ou encore les ornements rituels revisités du Béninois Meschac Gaba… Eblouissements assurés !
Oh ! AfricArt, d’Elizabeth Tchoungui, éd. du Chêne, 224 p., 42 euros.
Artistes africains : 1882 à aujourd’hui
Cette somme de plus de deux kilos, qui recense cent vingt ans de création en Afrique, vaut pour ce qu’il est : un livre d’images. Peu de texte ici, si ce n’est une opportune préface de l’historien Chika Okeke-Agulu, professeur à l’université américaine de Princeton. Les 300 artistes répertoriés sont représentés chacun par une œuvre jugée emblématique. L’ouvrage prend en compte le continent et sa diaspora, traite aussi bien de l’Ecole de Casablanca, au Maroc, que de celle de Khartoum, au Soudan.
Toutes les formes sont représentées, celles inspirées des motifs Ndebele de l’artiste sud-africaine Esther Mahlangu, comme les vidéos de la Britannico-Franco-Algérienne Zineb Sedira. Certains artistes sont nés en Afrique, d’autres y ont vécu, certains sont diplômés, d’autres autodidactes. Où qu’ils se trouvent, « l’Afrique est profondément inscrite en chacun d’eux », précise Chika Okeke-Agulu, rappelant qu’ils s’appuient tous sur l’héritage de plus d’un siècle d’inventions.
Artistes africains : 1882 à aujourd’hui, éd. Phaidon, 336 p., 59,95 euros.
Les tribulations de Roukiata entre Paris et Ouaga en bédé
Quand Roukiata, installée dans le 18earrondissement de Paris, se prépare à rentrer au pays pour les vacances, ses souvenirs d’enfance à Ouaga refont surface. Les voisines mégères « membres de la CIA », les « garçons choco » qui rivalisent de techniques de drague farfelues, les subterfuges pour « feinter le paternel surnommé “Chien méchant Papa” » afin d’aller en soirée… C’est toute sa jeunesse débridée qui est racontée dans cette bande dessinée colorée. Roukiata Ouedraogo, comédienne, humoriste et chroniqueuse sur France Inter, nous plonge dans ses souvenirs du pays natal avec une pointe de nostalgie et une grosse dose de bonne humeur.
Une bédé pétillante qui aborde avec finesse la question de la migration, des différences culturelles et des premières amours adolescentes.
Ouagadougou pressé, de Roukiata Ouedraogo, avec les illustrations d’Aude Massot, éd. Sarbacane, 176 p., 24 euros.
La mode africaine sous toutes les coutures
Que ceux qui croient encore que la mode africaine se résume aux grands boubous brodés, aux pagnes en wax ou aux gandouras de bazin ouvrent bien les yeux. La mode africaine se décline aujourd’hui depuis le coin de la rue jusqu’aux plus grands podiums internationaux !
Tombée dans la marmite de l’Afrique dès son plus jeune âge, la journaliste Emmanuelle Courrèges s’intéresse depuis toujours au design et aux savoir-faire textiles du continent. Elle partage dans ce magnifique ouvrage son admiration pour les pionniers de la mode africaine, comme pour la jeune garde. De Marrakech à Capetown et de Lagos à Kigali, photos et textes racontent le Swinging Africa d’aujourd’hui, une effervescence réjouissante et bien souvent éblouissante, partie pour conquérir le monde.
Swinging Africa. Le continent mode,d’Emmanuelle Courrèges, éd. Flammarion, 240 p., 60 euros.
Les icônes du jazz racontées en images
Installé en France mais relié au continent africain par sa culture, le photographe d’origine camerounaise Samuel Nja Kwa tire le portrait de tous ceux qui font bouger le spectacle vivant d’aujourd’hui… y compris s’ils incarnent une musique née hier, comme le jazz. Son nouveau beau livre, Jazz on my mind est né lors d’un classement d’archives durant les confinements de l’année 2020.
« En regardant mes clichés, explique le photographe, j’entendais la musique des artistes que j’avais photographiés. Parfois je me remémorais les conversations que nous avions eues, certaines situations pendant que je les photographiais, certains concerts que j’avais vécus. Jazz On my mind raconte aussi ma rencontre avec le jazz dès l’âge de 4 ans. C’était en 1968. Mon père était étudiant en médecine à Paris et parfois, le soir ou le week-end, pour se détendre, il mettait un disque de jazz. C’est ainsi que j’ai découvert le batteur Max Roach, l’organiste Jimmy Smith, le trompettiste Miles Davis et bien d’autres. Cette musique ne m’a plus quitté. » Le regard d’un sentimental doublé d’un passionné.
Jazz on my Mind, de Samuel Nja Kwa, éd. Duta, 49,95 euros.
Un roman pour dire les fractures tunisiennes
EDITIONS DES FEMMES-ANTOINETTE FOUQUE
Emna Belhaj Yahia, l’une des voix les plus attachantes de la littérature tunisienne, explore avec En pays assoiffé les déchirures d’une société guettée par l’ensauvagement, entre malédiction et rédemption. Les destins de jeunes garçons, Sandi le terroriste et Shaghroun le drogué guéri dans l’exil, disent le sacrifice d’une jeunesse sans boussole. La sollicitude de deux femmes éclairées, Nojum et Kamilia, rêvant du salut par les mots, échoue à les sauver, défaite de la bienveillance individuelle face aux fatalités sociales : « Dans ce pays de toutes les soifs, le chemin est perdu du puits qui peut les étancher. »
Servi par une écriture lumineusement subtile où frémissent les corps et tressaillent les âmes, En pays assoiffé prolonge l’interrogation anxieuse qui taraudait déjà Jeux de ruban (Elyzad, 2011) et Questions à mon pays (Editions de l’aube, 2014). Séquelles de la dictature, fractures de classes, poison de l’obscurantisme et résistances de femmes, Emna Belhaj Yahia poursuit sa radioscopie intime d’une société tunisienne endolorie.
En pays assoiffé, d’Emna Belhaj Yahia, Editions des femmes-Antoinette Fouque, Paris, 223 p., 18 euros. Egalement disponible chez Editions Demeter, Tunis, 2021.
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